Le haut et le bas

Le vieux était devenu vieux, un jour. Il n'y avait pas fait attention. Sa formation datait d'il y a des décennies. Canetti, juif et sioniste, était alors devenu AZD, un code quasi génétique qu'il devait, d'un devoir impératif, remplir selon les vœux dictés par l'Institut.
Ainsi était-il devenu Aziz Douglas, converti à l'islam pour la forme et pour la mission.

Le vieux était devenu vieux, un jour, notamment le jour où quelqu'un l'avait traité d'en haut, le regardant évoluer vers le bas. Toute sa formation avait consisté à le faire croire supérieur. Au sein de sa famille, par rapport à autrui, y compris sa femme et ses enfants. Le sionisme ne peut jamais faire l'objet d'une autre supériorité.

Seulement, son attention avait faibli.
Pendant près de douze ans, il n'avait plus été activé. Il avait continué de nourrir sa fausse personne par la drogue et de calmer la tension entre Canetti et Douglas par un paquet de cigarettes par jour.
Ses veines en étaient bouchées.


Puis, un proche, quelqu'un qu'il comptait parmi sa famille, avait résisté, l'ayant traité d'en haut. Du coup, il était devenu diabétique.
L'Institut, le savait-il? S'il le savait, il était mort ou allait bientôt mourir.
Lorsque l'Institut l'avait enfin activé, il avait infiltré les milieux politiques de son pays d'origine. Il avait échoué mais n'avait pas été neutralisé, mis à mort. Au contraire, l'Institut lui avait offert de quitter son pays et de s'endormir ailleurs.
C'était ailleurs qu'une nouvelle tâche pourrait lui être confiée. Au moins, il l'espérait.

L'agent, public d'ailleurs et point secret, qui avait réglé son émigration, avait assisté à une tentative d'auto-activation: AZD croyait être interpellé, attendait un an après l'apparition du signal, retournait à la place. En effet, quelqu'un l'y attendait. L'agent qui avait réglé son émigration, l'avait accompagné.


À l'entrée du douar, en plein Atlas, quelqu'un les avait attendus, donc. Lui, pas de doute, était l'envoyé. Il faut ici freiner fort pour ne pas écrire ce dernier mot avec majuscule. Douglas y aurait sans doute écrit une majuscule. L'homme guida les voyageurs à travers les ruelles étroites, les fit entrer dans une maison quelconque, où, toutefois, la cour donnait sur un complexe de couloirs et d'escaliers, au bout desquels ils se trouvaient enfin devant l'Arche d'Alliance, à en croire Douglas. Du coup, celui-ci devint Canetti pendant quelques instants, se plongea en prière mais rien ne se passait. Le guide les invita à boire le thé, qu'ils buvaient accompagné d'amandes fraîches du pays.


Sur le chemin du retour, l'agent public et non secret confiait à Douglas qu'il devrait mieux se préparer: chercher un boulot, une bonne couverture, quoi, et arrêter de se droguer. L'Institut n'active pas d'agent drogué. Douglas promit et continuait, malgré tout, de se droguer.

Un jour, un médecin constata qu'il avait attrapé un diabète. Peu avant, l'agent public l'avait averti. Douglas avait répliqué: "Tu me fais rire". L'agent répondit: "L'Institut ne rigole pas". Ainsi, il savait que l'Institut l'avait rendu diabète.

Ce jour-là, il avait fort vieilli. Le savait-il? L'avait-il ignoré, comme d'habitude?
L'Institut ne l'activait pas. Par contre, il apprit que l'agent public et non secret avait été chargé à sa place, dirait-il, d'une affaire dont il croyait être compétent.
Il faillit exploser et tomba malade. Pendant trois jours, il ne sortait pas. Il avait été opéré d'une veine bouchée et devait alors arrêter de fumer. Or, il avait continué de fumer. Le mal de veine le prit le deuxième jour de sa maladie. Il refusa tout examen médical. Il acceptait toute intervention de l'Institut, sans savoir où il interviendrait.

On ne sait d'ailleurs pas si l'Institut est intervenu. Quand on voit AZD Canetti voire Douglas, on croit bien qu'il a encore queue et tête. Toutefois, dès qu'il parle, on ne le croit plus.
Et si un jour ça se voyait?

Sa tête de serpent devient une tête de vieux serpent et ses traits juifs s'en trouvent soulignés, voire révélés. Son regard devient moins aigu.

Ce qui toutefois est plus clair aux yeux de tous et de toutes, est la salive qui sort de sa bouche lorsqu'il parle. Son public, ne comptant qu'une à deux personnes, s'éloigne pour éviter de se mouiller et il ne comprend pas d'où vient cette distance. Tout comme il n'a pas compris pourquoi l'Institut ne l'a pas fait tuer. Or, l'Institut l'ayant classé 'ignorant', c'est-à-dire pas au courant, n'a pas voulu investir dans sa mise à mort. Son ignorance l'a sauvé.

Canetti devient un vieux radoteur.
Il écoute vaguement une chanson. Il n'y entend pas le message de l'Institut.
Vieille canaille
par Serge Gainsbourg
J' s'rai content quand tu s'ras mort
Vieille canaille
J' s'rai content quand tu s'ras mort
Eh, vieille canaille
Tu ne perds rien pour attendre
Je saurai bien te descendre
J' s'rai content d'avoir ta peau
Vieux chameau

Je t'ai reçu à bras ouverts
Vieille canaille
T'avais toujours ton couvert
Vieille canaille
T'as brûlé tous mes tapis
Tu t'es couché dans mon lit
Et t'as bu mon porto
Vieux chameau

Puis j' t'ai présenté ma femme
Vieille canaille
Puis j' t'ai présenté ma femme
Eh, vieille canaille
Tu y a fait du baratin
Tu l'embrassais dans les coins
Pendant que j'avais tourné l' dos
Vieux chameau

Puis t'es parti avec elle
Vieille canaille
Puis t'es parti avec elle
Eh, vieille canaille
En emportant la vaisselle
Le dessus d' lit en dentelle
L'argenterie et les rideaux
Eh, vieux chameau

Mais j'ai sorti mon pétard
Vieille canaille


Mais j'ai sorti mon pétard
Vieille canaille
Et quand j' te tiendrai au bout
Ah ah, je rigolerai un bon coup
Et j' t'aurai vite refroidi
Vieux bandit

On te mettra dans une tombe
Et moi, j'irai faire la bombe
Je me saoulerai, vieille canaille
À coups de p'tits verres d'eau-de-vie
La plus belle cuite de ma vie
Sera pour tes funérailles
Vieille canaille !

(à suivre)

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