Le haut et le bas (suite )

Le vieux était vraiment vieux. Il se perdait, perdait les pédales mais pas encore le nord. Il vivait une solitude à peine tolérable. L'agent public non secret évitait tout contact. Il était clair – pour le vieux? – que l'Institut n'allait plus le recruter, activer ni tuer.

Sa consommation de drogues restait constante, bien que toujours aussi secrète (que possible). En fait, c'était dans son chef la seule activité secrète.

Il avait fini par engueuler l'agent public non secret. Il n'arrivait pas à accepter que sa migration était ordonnée par l'Institut.

Les semaines passaient. Puis les mois. Bientôt les années. Ses enfants grandissaient et devenaient des étrangers. L'aîné, après quelques frictions, avait terminé ses études et s'était marié et vivait loin.

Il errait parfois les rues, parfois les routes. À pied ou en voiture. Cherchait-il? Et si, oui, que cherchait-il? Qui cherchait-il? Un signe de l'Institut? Son représentant? Une rare fois, il prit le vélo. Errait-il vraiment ou cherchait-il un signe? Espérait-il une rencontre?

Son pas rapide d'antan devenait plus lent. Son visage par contre avait gardé les traits dures, voire se durcissaient davantage.

Il ne comptait plus le temps mais le temps comptait. Tout seul, sans lui.

Il ne se rendait pas compte, dès lors, du temps qui s'était passé lorsqu'un jour, il rencontra l'agent public non secret.

Il insista fort à ce qu'ils aillent boire un café ensemble. D'ailleurs, ils étaient loin d'un café. Le vieux étant à pied, perdu au bord de la rivière, l'agent public étant en vélo, ils devaient aller à pied. À un demi-kilomètre de distance, ils trouvaient un petit café, fréquenté par les touristes. C'était hors saison, ils étaient les seuls touristes. Le vieux avait hâte d'interroger l'agent, sans prendre le temps de présenter les excuses. Or, l'agent ne pouvait rien dire avant d'avoir entendu des excuses.
- Écoute, toi, tu me diras ce qu'il y en a.
- J'écoute mais il faudrait commencer par où l'on s'est quitté.
- Pfff, j'ai oublié.
- Peut-être toi, moi non. Je n'ai pas oublié. Tu me dois d'autres paroles d'abord.
Le visage du vieux s'assombrit. Il détestait que qui que ce soit se mette en position supérieure par rapport à lui-même. L'agent l'avait compris.

- Ronge ton frein, bouffe ta colère, tu peux tomber mort, ici et maintenant. Cela m'est égal. Je ne veux pas savoir ce que tu veux, toi.
- Bon, voilà, tu as raison. Je voudrais que tu m'excuses.
- Un début, quand même mais je ne peux pas les accepter telles quelles. Tu dois savoir que j'ai transmis ton dossier pour classement définitif. Tu étais allé trop loin. J'ai tout juste fait remarquer qu'il vaut mieux économiser les frais d'une opération dont le but serait de t'éliminer.
L'Institut avait l'intention de t'utiliser pour son département désinformation. Tu aurais pu collaborer dans un vaste projet contre l'islam. Tu sais, l'Institut a rendu ridicules les musulmans. Les femmes musulmanes croient qu'il faut mettre le voile, parole du prophète. Parole de l'Institut, oui. Et tant d'autres. Comme tu es un menteur né et que, de plus, tu crois tes propres mensonges, tu aurais pu être un excellent élément. Tu te prends pour le fils du roi, seulement, le roi ne le sait pas. Tu l'as gâché. Tu as fumé le kif, tu as même bu l'alcool. On t'avait prévenu. Rien à faire, tu as continué.
- Et maintenant, que vais-je faire? Et maintenant, que deviens-je?
- Tu peux t'écraser toi-même, comme un mégot brûlant.
- L'Institut m'a donc classé? Je ne suis plus bon à rien.
- Exactement.

Un silence écrasant suivit. Comme ils avaient pratiquement terminé de boire leur café, l'agent se leva, déposa un billet de cinq euros sur la table et sortit.

Lorsqu'on finit par trouver le vieux, il était mort. Le long du fleuve, à deux cent mètres du café, il avait trouvé la mort. L'une moitié de son visage affichait un terrible rictus, l'autre un large sourire. Suicide ou mort naturelle? Suicide ou mort naturelle? Meurtre? Personne ne l'a jamais su.

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