Lettre ouverte à Josse De Pauw

Objet: dioxine

Monsieur De Pauw, cher Josse,

Je me suis mis au travail, comme ton livre s'intitule. Oui, me voilà après tant d'années, le livre étant publié en 2000. J'avais déjà lu quelques passages, tu sais, dans le canard de Standaard, par hasard. C'était au temps où je lisais encore des canards. Lors de sa publication, j'ai fait cadeau de ton livre à ma mère. Le plaisir avec lequel elle l'a lu ne s'exprime qu'en termes lyriques. Ces termes ne sont pas à exclure du contexte de la présente lettre ouverte mais quand même, dis. Je viens de l'acheter pour moi et je le lis. Je relis, je lis jusqu'au bout. Ou je relis et me dis aha. Comme ce que tu as écrit sur la dioxine.

Pour le lecteur, il n'est jamais clair si l'écrivain sait encore ce qu'il a écrit. Est-ce que tu le sais, toi, avec la dioxine? La daube de poisson, tes genoux, la veste jaune de Coca Colla de Deurne, comment les cathos, y compris Van Peel, ont perdu la face? Et que le poète est un homme avec une vision, visionnaire quoi?

Le lecteur ne sait pas non plus si la simplicité ludique de ton œuvre résulte de ce que tu as biffé et retravaillé tes phrases pendant des nuits entières, ou du premier ou second jet – le génie, quoi. Peu importe, d'ailleurs, ce qui compte, c'est le résultat. En tout cas, ton morceau de dioxine rend jaloux. Pas le lecteur mais l'écrivain.

Quant à moi, je ne me souviens pas de beaucoup de détails, à part l'issue de cette crise. Un mois après les élections, je me trouvais à Londres en train de regarder la Tamise. D'ailleurs, chez moi à Temse (Tamise, donc), c'est ce que je fais souvent, bien que le fleuve s'appelle Escaut ou plutôt Schelde. Soit, un détail mais je voyais encore le Millenium Dome qui, peu après, disparaîtrait sans gloire. Tout ce cirque du millenium, y compris le bug, est passé en toute discrétion. Bref, on était en 1999.

Je m'y trouvais avec un autre Belge et la réunion était terminée. Un des Britanniques nous demandait si nous avions mangé du poulet à l'époque concernée. On sait combien les Britanniques se sentent concernés, n'est-ce pas. Je n'ai même pas réfléchi une demi minute pour répondre: "Bien sûr nous en avons mangé, pour autant que nous en trouvions. Le plus difficile était d'en trouver ." Cet Anglais: "Comment?" Puis moi: "Eh bien, lorsque nous avions appris que les poulets étaient bourrés de dioxine, il était trop tard, autant en manger, donc. D'ailleurs, là n'était pas la question. Il s'agissait de nous débarrasser du gros qui était à l'époque notre premier ministre. Et cela a marché." Les Anglais avaient l'air décontenancés, quel silence! Je leur donnais donc le coup de grâce en disant: "Et vous, comment vous vous êtes débarrassés de Maggie Thatcher?" Ils souriaient vaguement et répondaient: "Oh, les vaches folles".

Plus tard seulement j'ai appris comment ces gens à Londres ont l'habitude de toiser Bruxelles. Trop tard pour eux.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La nouvelle aventure

Étoilé

Dans des draps russes