Je me défonce donc je suis, plus ou moins

De moins en moins nombreux sont ceux qui ont encore connu le temps où il était bon ton, je dirais même ‘koel’, de se défoncer moyennant un moyen plus large que l’esprit. De nos jours, il est bon ton de s’estimer koel si l’on ne se défonce plus, puisqu’un défoncé est inefficace, inutile, non productif etc. Qu’est-ce qu’ils savent?

Au bureau il était temps de se réunir et de s’entreparler. Le moment mensuel était venu, quoi. Les nouveaux ne sont pas encore habitués mais cachent la gêne que cela provoque en prenant un air légèrement étourdi. Les habitués prennent leur place comme si tout l’endroit est leur place. Rien d’inquiétant, tout va bien. Le chef d’équipe, lui, est tout à fait koel. Diplômé en sciences sociales, catholique jusqu’à la moëlle, donc quelque peu hypocrite, sans se lever au dessus de son équipe.

Aujourd’hui, toutefois, le hyperâne et crâne de la boîte assiste à la réunion, pardon, au moment d’entreparler. Il arrive comme il faut – bien qu’il soit le seul à estimer qu’il faut ainsi – en retard de six minutes. C’est sa façon, en vain, de se donner du poids. Il prend un air prompt et s’assied sur la seule chaise libre. Et puis, la porte se ferme.

À cet étage de la boîte se trouvent trois services, dont deux sont coordonnés par le chef d’équipe. Qui lui est dirigé par le comité de direction, représenté par le hyperâne qui en est le président.

Le troisième service est le service linguistique.

Le moment dure tout un temps, même si le mot suggère autrement. Le temps de s’entreparler est dès lors entrecoupé par une pause pipi, voire une pause midi et parfois par un moment de tabac, le chef d’équipe étant un fumeur enraciné.

Lors d’un de ces moments intermédiaires, voilà qu’un nouveau, en outre francophone, se rend au service linguistique. « Puis-je vous demander quelque chose ? » Typique des nouveaux, cette façon de demander. Un habitué dirait : « toi qui sais tout, dis-moi... ». Il veut savoir ce que cela veut dire ‘proactif’.

« Asseyez-vous, » lui répond un des traducteurs. « Ce mot ne veut rien dire et ne peut pas être traduit tel quel. Si quelqu’un prend ce mot en bouche, il veut que tu comprennes qu’il appartient à une catégorie supérieure, où il a capté ce mot sans savoir ce qu’il signifie. »

Lorsque cela a pris place dans la tête du nouveau collaborateur, le traductuer continue : « En fait, quelqu’un est proactif lorsque cette personne, souvent mâle, a pris une overdose de poivre dans le cul. Il s’est donc défoncé par une overdose de poivre au cul. »

Le bonhomme est légèrement confus mais il sourit légèrement en retournant au moment de s’entreparler.


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