La nouvelle aventure

OK, la route pourrait sembler sans issue, une rue morte dans une nature vivante. Je menais bon train bonne route, ne pensant jamais à freiner, à aucun moment, à aucun endroit. D’ailleurs, j’étais trop loin.

Loin de l’homme à la guitare bleue. Loin du centre de toute ville. Trop loin pour déjà penser au retour, ou pas encore assez loin.

Qu’il est fort, le cycliste insolitaire, tout droit, le vent en poupe.
J’étais surtout trop loin dans le développement d’un plan d’une petite guerre urbaine, non à la Louis-Paul Boon. Il fallait tout juste trouver une cause.
J’étais entouré de centaines d’autres cyclistes, le plan avait surgi quasi automatiquement.

J’en essayais un : un homme âgé de plus de soixante ans, en tenue de cycliste de sport et assis sur un vélo de course, me dépassa. Je pris une vitesse supérieure, me servant de lui comme un corridor dans l’air. Il m’a toléré à peine, pendant un bon kilomètre, puis il démarra, sans avoir échangé ne fût-ce qu’un mot. Il m’échappa.
Je menais bon train, de toute façon. À peine quelques minutes plus tard, un autre sexagénaire, vêtu de même assis de même, me dépassa, puis ralentit et voilà que je le dépassai, lui proposant un corridor dans l’air. Il riait de tout cœur.
Il m’écoutait exposer le plan. Le matin, il avait eu l’intention de rouler cinquante kilomètres. Le temps faisait si beau qu’il en avait déjà roulé cent. Dès lors, il avait faim et devait me quitter, ainsi que mon plan, à la recherche d’une boulangerie, à cinq heures de l’après-midi, d’un jour férié. À tout à l’heure, lui dis-je. Espérons-le, répondit-il.

La guérilla urbaine, allons ? En avant !

Je menais toujours bon train. La cause manquait toujours mais le temps faisait beau, excellent pour les centaines de cyclistes.
Et voici un nouveau groupe cible, voire un couple cible. Un rêve ! Un groupe d’action a besoin d’un couple, de préférence de tonnerre. Baader-Meinhoff ! Rosa Luxemburg ! J’ai oublié le nom de son compagnon. Jeanne d’Arc ! Et moi et moi et moi. Janis Joplin ! Et moi et moi et moi. P.J. Harvey ! bien sûr, dont j’ignorais l’existence d’un Jules à côté d’elle. John et Alice Coltrane ! John et Yoko ! Et ainsi de suite mais je m’approchais.

Mon couple cible était multiroulettes. Tout leur allait comme sur des roulettes, lui sur son vélo, elle sur des patins à roulettes. D’un modèle dont les roulettes constituent une espèce de patin presqu’à glace. Je m’approchais sans me presser. Fallait surtout prendre un air spontané et bien le préparer. Elle allait bon train, sur des jambes fortes, bien en chair et en muscles, sortant toutes droites d’un short malin. Loin de l’idée qu’un short puisse être intelligent, voire contenir de l’intelligence. Cela lui aurait fait une belle jambe.

Je m’approchais donc, maintenant assez pour entendre des fragments de leur dialogue que j’espérais amoureux. Je l’entendis, elle, qui dit : ‘voilà ce qui est bien typique à moi’. À moi ! à l’aide ! va !

Et j’allais de plus en plus vite, le vent en poupe, fort de ma solitude dans le développement de mon plan de petit guerrier urbain.

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