Benno Barnard bientôt partira


Vous avez pu lire ici que le belge Benno Barnard, qu'on appelle toujours Nederlander, jamais Nederbelg, a été enfin reconnu belge.
Apparemment cette reconnaissance arrive-t-elle trop tard. Il vient de mettre sa maison à vendre et veut émigrer en Royaume Uni. Pas mal pour un unioniste, d'ailleurs, dont le cœur se trouve depuis des années en Grande Bretagne. L'ami Hendrik C. du coup n'aura bientôt plus de rencontre mensuelle à Bruxelles entre poètes.

Benno Barnard, Le Naufragé, traduit du néerlandais par Marnix Vincent, Bordeaux, Le Castor astral, 2003 (couverture : dessin de Philippe Roux).


De langue néerlandaise, originaire des Pays-Bas mais vivant en Belgique, Benno Barnard a appris l'hébreu avec son père, parle anglais avec son épouse américaine et s’exprime couramment en français. Ce contexte culturel et historique paradoxal confère à son œuvre une tension particulière. Remarquables par leur musicalité et leur impressionnante virtuosité technique, ses poèmes, souvent longs et réunis en cycles, posent essen- tiellement la question de l’identité de l’Européen après la Seconde Guerre mondiale. Écrit à Anvers, « Langue maternelle » est à la fois un hommage à la mère disparue et à la langue maternelle.

LANGUE MATERNELLE
In memoriam Christina Van Malde (1919-1995)


Vous avez le blanc visage du lait
que j’ai bu dans la maison de l’Amstel
où je suis né. (Oui, Paris vous allait encore
au printemps, mais l’été débordait
de votre deux-pièces, et ce fut novembre ;
et la pluie et le crépuscule remplirent
la vitre : un XIXe siècle posa sa pâle
main sur ma vie.) Maman, je sais bien,
j’étais une fleur rebelle au calice rose
et je n’ai pas changé. Je suis quelqu’un, personne,
homme du Bas-Pays.
Grande gueule, toujours et encore je suce
la consonne que je trouvais si délicieuse,
toujours et encore ma plus ancienne voyelle s’émerveille
de ma voracité, de ma satiété.
Toute ma vie j’aurai mangé du lait.

Vous me rappelez des choses que je n’ai jamais sues.
Vous faites des vers, comme jadis, et m’attirez
dans la toile de la chanson.
Aujourd’hui vous étiez à nouveau ma gouvernante
avec son chignon : aujourd’hui nous avons fait
la rationalité, la moralité, le vol des oiseaux et Dieu, un peu.

Je n’ai commencé à vous aimer qu’ici à Anvers
comme une fiancée aux yeux meurtris, bleuis,
et au cœur de lionne. Souvent, au bar,
vous bavardez, mais vos jambes nues sont
entrelacées
afin de protéger le petit fauve… J’avale
vos diphtongues comme des hosties et vous appelle Chérie,
car quelqu’un doit vous appeler ainsi sans ironie ;
je vous emmène
à la maison et dans mon sommeil j’entends
vos talons incertains sur les losanges luisants des pavés.

Katinka, c’est le nom que vous donna mon nouveau père.
Vous êtes ma mère qui ne m’écoutez pas
mais qui parlez à en imprimer mes murs.
Ô mère morte,
demain viendra une autre nuit où je noterai :

je n’appartiens pas qu’à moi.

trad. M. Vincent


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